Interview du Sécretaire Général du Conseil National pour la Résistance au Journal Le Messager
G. Tene Sop, activiste politique: “ Le régime est aux abois ”
Le secrétaire général du Conseil national pour la résistance/mouvement
Umnyobiste (Cnr/Mun) et membre fondateur du Collectif des organisations
démocratiques et patriotiques des Camerounais de la diaspora (Code)
scrute l’environnement socio-politique du Cameroun.
Vous avez été explicitement accusés d’avoir manipuler des Camerounais
qui sont descendus dans la rue pour manifester ces derniers jours.
Qu’en est-il exactement?
Nous pensons que le régime est aux abois. Il a longtemps craché en
l’air. Maintenant, il reçoit ses crachats en pleine figure. C’est un
régime qui se prévaut de sa propre turpitude et tente d’accuser à tort
et à travers. Initialement c’était Fru Ndi, puis ça a été Mboua
Massock, aujourd’hui c’est le Code... C’est parce qu’il est aux abois
que le régime cherche des boucs émissaires. Cette politique de bouc
émissarisation est caractéristique du régime Biya depuis vingt six ans.
Nous ne sommes par conséquent pas surpris qu’il cherche à accuser tous
azimuts.
Avez-vous oui ou non pris part aux manifestations de ces derniers jours au Cameroun ?
Les Camerounais se sont levés pour protester contre la vie chère et
pour refuser le tripatouillage constitutionnel auquel Biya veut se
livrer et nous soutenons politiquement le mouvement. Nous encourageons
les Camerounais à lutter pour leurs droits, à lutter contre la vie
chère et à s’opposer au tripatouillage constitutionnel. C’est un
soutien politique que nous apportons à l’ensemble des jeunes qui
étaient dans la rue.
Au regard du rapport de force à l’Assemblée nationale camerounaise,
si Paul Biya veut faire passer la modification de l’article 6.2 de la
Constitution en vue de faire sauter le verrou de la limitation du
mandat présidentiel à deux septennats, il aura la majorité nécessaire
pour le faire. Que feriez-vous dans ce cas ?
La rue a déjà parlé. Paul Biya le 31 décembre 2007 avait estimé que les
Camerounais étaient descendus dans les rues pour lui demander de
changer la Constitution et qu’il les avait entendus. Le camp du non au
tripatouillage constitutionnel a également parlé à la fin du mois de
février. Et les événements ont montré que ce camp était majoritaire. Si
Paul Biya veut effectivement entendre le message de son peuple, il doit
entendre le message que lui a adressé le camp du non à la modification
de l’article 6.2 de la Constitution. L’Assemblée nationale ne
représente pas l’ensemble du peuple camerounais car le taux de
participation aux dernières élections législatives était de 25%, avec
un taux d’abstention record, c’est-à-dire que 4 millions d’électeurs
sur 9 millions seulement sont allés aux urnes pour élire les députés
actuels. Vous conviendrez avec moi que ces députés ne sont pas
représentatifs de tout le peuple camerounais. C’est par conséquent une
Assemblée nationale complètement illégitime pour modifier la
Constitution. Nous invitons tous les députés à s’opposer eux aussi par
tous les moyens politiques au projet de tripatouillage constitutionnel
qui va leur être présenté. On a vu un cas similaire au Nigeria où
Olusegun Obasanjo avait la majorité à l’Assemblée nationale et au Sénat
et n’a pas pu, comme il le souhaitait, tripatouiller la Constitution
car les députés et les sénateurs de son camp ont fait échouer le
projet. Et il s’est retiré du pouvoir. Eu égard aux événements de ces
dernières semaines, si l’Assemblée nationale fait sauter le verrou de
la limitation du mandat présidentiel, nous allons être plongés dans une
guerre civile certaine.
Que ferez-vous au Code dans l’éventualité d’une modification de la Constitution qui ne limiterait plus le mandat du président de la République ?
Le Code va continuer sa campagne internationale de sensibilisation pour
attirer l’attention de l’opinion internationale sur le fait qu’il y a
un régime impopulaire qui règne depuis 26 ans et qui tente de se
maintenir au pouvoir contre la volonté populaire. Mais le plus
important pour le Code c’est de pleurer les victimes de la répression
de fin février. Nous sommes actuellement en deuil. Il y a 200 personnes
selon les organisations des droits de l’homme qui sont tombées sous les
balles de l’armée et de la police camerounaises. L’urgence pour le Code
c’est d’attirer l’attention sur cette tragédie et exiger surtout qu’une
commission d’enquête internationale se penche sur la question pour
clarifier le bilan car le gouvernement parle d’une quarantaine de morts
seulement. On ne peut pas tuer 200 personnes au troisième millénaire et
continuer à rester au pouvoir comme s’il ne s’était rien passé. Nous
allons travailler à un isolement de ce régime violent et sanguinaire.
Et nous sommes sûrs d’y parvenir.
Les réponses qui ont été apportées par le gouvernement camerounais
pour apaiser la situation ne vous semblent-elles pas correspondre à un
début d’écoute des revendications populaires ?
C’est du saupoudrage politique. Ce sont des bribes de mesurettes qui,
en fait, n’attaquent pas le problème de fond. En fait le problème de
fond dans notre pays c’est l’injustice sociale qui est criarde. La
classe moyenne a disparu, elle est tombée dans le prolétariat. La vie
devient chaque jour un peu plus chère. Les riches s’enrichissent, les
pauvres s’appauvrissent davantage. Et l’histoire a montré que
lorsqu’une société en arrive à ce niveau il y a un affrontement qui est
inévitable. C’est l’un des messages des soulèvements de la fin février.
Le pays est divisé en deux camps qui se regardent en chiens de faïence
et qui guettent la moindre occasion d’entrer en confrontation. La
situation est extrêmement grave et nous en appelons à la responsabilité
du président Paul Biya pour qu’il sache que si cet affrontement redouté
se produisait, l’histoire retiendrait que c’est sous son règne qu’une
guerre civile s’est déclenchée au Cameroun.
Pensez-vous que la situation au Cameroun pourrait se détériorer au point d’être comparée à celle qui a prévalu au Kenya après la proclamation des résultats de la présidentielle il y a quelques mois ?
Tous les ingrédients sont là pour que le scénario du Kenya se répète au
Cameroun. Vous avez vu qu’après les soulèvements de ces derniers jours
le régime commence à dresser les groupes tribaux les uns contre les
autres : vous avez certainement entendu parler de la déclaration des
fils du Mfoundi qui demandent aux Camerounais non-Bétis de quitter la
capitale pour aller manifester chez eux, sans oublier la déclaration
des chefs Sawa qui demandent aux Anglo-Bamilékés d’aller manifester
chez eux... Donc le régime est en train de jouer avec le feu. Et la
situation au Cameroun risque d’être pire qu’au Kenya parce que le
régime crée une tension entre les différents groupes ethniques pour
faire diversion telle qu’à la première étincelle ça va être la
catastrophe. Notre pays doit échapper à cette logique.