Un Voleur nommé Biyiti Bi Essam!
Editorial de Jean Baptiste SIPA
Biyiti au pays des voleurs !...
Un ministre de la République, en l’occurrence celui de la
Communication, est jeté en pâture à ce que quelqu’un a appelé “ les
charognards de la presse ”, depuis le lendemain de la visite du pape
Benoît XVI au Cameroun, pour avoir, dit-on, détourné 130 millions F cfa
d’une enveloppe de 770 millions de francs cfa à lui allouée aux fins de
la “ couverture médiatique ” de la visite papale.
Dans son épanchement à travers la presse, le ministre reconnaît
lui-même que son département a reçu ces sommes, alors qu’il disait au
départ n’avoir reçu que 250 millions F cfa ., provoquant ainsi une
controverse dévastatrice aussi bien sur le montant de la dotation que
sur son utilisation. Au regard de ses explications (voir entre autres
Le Messager n°2843 du lundi 27 avril 09), le Ministre, embarrassé par
la livraison tardive de sacs d’argent en espèces à la fermeture des
bureaux, aurait déposé ou fait déposer ces sommes sur son compte
bancaire pour les sécuriser, n’ayant pas de coffre-fort dans son
Cabinet. Vrai ou faux ? L’enquête officielle ne l’a pas encore établi.
Encore que si c’était vrai, il ne serait au pire accusé que de
tentative de détournement, à charge pour l’accusation d’en établir
l’élément intentionnel.
La charge émotive dans les medias à capitaux privés qui se sont
constitués en procureurs, juges et avocats pour faire le procès du
ministre au tribunal de l’opinion publique est telle que personne n’a
pensé aux vrais questions que devrait inspirer la situation créée. A
savoir :
1°) Dans le pays de la “ rigueur et de la moralisation ”, comment je
voulais dire, par quel extraordinaire le ministre des Finances peut-il
décaisser près de 800 millions de francs en espèces, en faire des sacs,
pour envoyer déposer entre les mains d’un utilisateur qui n’est pas
sous son contrôle ? Et si le Mincom n’avait ni le droit d’ouvrir un
compte, fut-il de “ dépôt et consignation ”, pourquoi le ministre des
Finances ne pouvait lui délivrer un chèque de Trésor qu’il toucherait
le lendemain ?
2°) Et même dans le cas où l’intention délictuelle du Mincom ne serait
pas établie, il subsisterait la question de savoir pourquoi il n’a pas
eu le réflexe devant cette anomalie que des agents du Minfi lui apporte
des sacs d’argent, de leur demander de revenir plutôt le lendemain à la
première heure, étant donné qu’il n’avait pas de coffre-fort ?
Voilà deux premières questions qui suggèrent combien une dépense
publique aussi importante, ordonnée par le chef de l’Etat (sur quel
chapitre du budget ?...), aura été effectuée avec une légèreté –sans
doute coûtumière - dans la perception du bien public. Mais les deux
autres questions qui suivent ne sont pas moins importantes au regard
des normes de gestion de l’Etat.
Primo : les fonds ainsi débloqués pour “ la couverture médiatique ” de
la visite du pape n’ont été distribués qu’à la Crtv et à la Sopecam
(sous-entendu Cameroon Tribune), aux services administratifs du
Ministère, et à Camtel. Questions : en temps normal, ces gens sont
salariés pour faire quoi ? Et auraient-ils ignoré la visite du pape si
cette dotation n’avait pas été octroyée ?
Secundo : Il est évident qu’à handicap égal, ce sont les medias à
capitaux privés qui n’auraient pas été en mesure de lever le défi de la
couverture de l’événement. On peut donc supposer que le président de la
République qui le sait, n’a pas fait débloquer autant d’argent
seulement pour permettre au Mincom d’inviter quelques journalistes à un
dîner, fut-il baptisé “ de presse ” dans un Hôtel huppé de la capitale.
Question : pourquoi la générosié distributive du Mincom ne s’est-elle
arrêtée que sur les médias d’Etat ? Le ministre a-t-il surestimé les
capacités financières de la “ presse privée ”, ou bien est-il encore
dans le shéma selon lequel, seule la “ presse publique ” mérite
d’accéder à l’information officielle ou supposée telle, même si le
gouvernement doit encore corrompre ceux qu’il paie déjà tous les mois
parce que c’est leur travail ?
Il n’est pas interdit de penser que l’acharnement avec lequel la
quasi-totalité de la presse à capitaux privés s’est livrée à un
lynchage médiatique proche d’une “ justice populaire ”, soit en fait
l’expression d’une vengeance contre une attitude ministérielle
considérée par certains comme discriminatoire, et par d’autres comme
méprisante, et donc insultante. Une colère légitime si le Mincom a
pensé par hasard que ses “ partenaires ” privés ne comptaient que pour
du beurre, alors que quelques jours plus tôt, il les réunissait pour
leur
proposer de faire l’impasse sur les turpitudes de l’Eglise catholique,
afin de donner au Saint Père l’image d’un Cameroun de Paix. Une colère
légitime donc, mais malheureusement exprimée ça et là sans discernement
ni mesure !
Quoi qu’il en soit, cette affaire n’est pas sans rappeler “ Les animaux
malades de la peste ” (fable de Lafontaine) où l’âne est sacrifié pour
avoir, “...en un pré de moine passant, la faim, l’occasion, l’herbe
tendre, et aussi quelque diable(le) poussant,(tondu) la largeur de
(sa)langue ”. Le baudet est déclaré par le jugement de la Cour,
responsable de la peste que le ciel en sa fureur avait inventée (selon
Jean Lafontaine) pour punir les crimes de la terre, alors que le fait
pour les lions et autres tigres...d’avoir “ dévoré force moutons et
même quelquefois leur berger... ” était considéré comme “ une pécadille
”.
Dans une République où du jour au lendemain et de manière instantanée,
tout commis de l’Etat, tout membre du gouvernement, sans pour autant
mourir de honte, peut s’entendre crier “ voleur, voleur ! ” à son
passage ou dans les médias, est-ce le ministre Biyiti Bi Essam ou bien
le système gouvernant qui doit passer au tribunal de l’opinion publique
?
Une question qui restera probablement sans réponse dans un contexte où
l’on recherche “ les voleurs ” à la loupe – sans plus attendre les
preuves – en lieu et place de la corruption, parce qu’il est difficile
de parler de la corde dans la maison du pendu.